En concert le 13 juin a paris
Depuis "Little earthquakes" en 1992, Tori Amos a largement contribue a faire evoluer l'image de l'auteur-compositeur-interprete feminine. A de rares exceptions, elle a toujours ete soutenue par un large public, d'abord europeen, et par l'ensemble de la critique.
Artiste captivante, parfois mysterieuse, Tori Amos revient aujourd'hui, non seulement avec un nouvel album, "THE BEEKEEPER", mais aussi avec un livre intitule "TORI AMOS : PIECE BY PIECE", qu'elle a ecrit avec l'aide de la journaliste Ann Powers.
Plus qu'une autobiographie, c'est un ouvrage ou la chanteuse se devoile et raconte sa musique, ses combats et sa vie de femme.
Myra Ellen Amos est nee le 22 aout 1963 a Newton, en Caroline du Nord. Elle nous parle de l'environnement familial dans lequel s'est deroulee sa jeunesse.
La saga en integrale )
"J'ai grandi dans la region de Washington D.C., ou j'ai vecu en quelque sorte des deux cotes du peripherique. C'est la que je suis allee a l'ecole. C'est la que mon pere etait pasteur ; il appartenait a la conference methodiste de Washington. On a souvent demenage, mais on est toujours reste dans le meme secteur. Et mes grands-parents maternels avec qui je passais beaucoup de temps, quatre mois par an, habitaient en Caroline du Nord. Mon grand-pere a eu une grande influence sur moi jusqu'a sa mort. J'avais alors 9 ans et demi. On peut dire qu'il a ete a la base de mon education, avec ma mere. Ma mere etait femme au foyer. Pourtant, elle aurait pu avoir une belle carriere, mon pere pourrait vous le confirmer. Elle a fait des etudes, elle est tres intelligente, mais elle manquait un peu de maturite. Quand elle etait plus jeune, elle a travaille dans un magasin de disques. Elle pensait avoir epouse un futur medecin. Il etait en premiere annee quand il a recu une lettre de sa mere. Elle etait pasteur de l'Eglise de Dieu, tout comme son pere d'ailleurs. Ils etaient tous deux enseignants, un peu comme des missionnaires, tres portes sur le proselytisme. Ils appartenaient a l'Eglise de Dieu, ils etaient d'origine ecossaise, vraiment stricts et retrogrades, il n'etait pas question d'aller au bal et on ne chantait que des chants religieux. Dans sa lettre, elle disait a son fils : 'Tu sais, si tu m'aimes vraiment, tu dois repondre a l'appel de Dieu et devenir pasteur'. En gros, c'etait un chantage et mon pere s'est laisse prendre. Il a change de route, il a repondu a l'appel qu'avait entendu sa mere et il est devenu pasteur. Alors, ma mere est devenue femme de pasteur et elle a du faire une croix sur son esprit rebelle, sur sa vie. Petit a petit, je l'ai vue se replier sur elle-meme, tout garder en elle-meme, pour etre une femme de pasteur convenable. Alors, quand il partait a l'eglise, le matin, nous restions toutes les deux seules. Et ma mere sortait ses disques et me les faisait entendre. Elle m'a transmis son amour de la musique, Fats Waller, et tout ce qu'elle avait d'autre. Elle avait garde sa collection de disques ; c'est etonnant qu'elle ne s'en soit pas separee. Elle me passait de la musique chaque matin des heures durant et me demandait de rejouer les airs au piano. C'etait notre relation. Elle me lisait ses histoires preferees, notamment Edgar Allan Poe. Donc, elle et son pere – mon grand-pere – sont les deux personnes qui ont le plus faconne ma personnalite."
La jeune Myra Ellen Amos est une enfant prodige. Elle a deux ans et demi lorsqu'elle commence a apprendre le piano.
Tout juste agee de cinq ans, elle entre au prestigieux conservatoire Peabody de Baltimore. Elle est la plus jeune eleve jamais admise dans cet etablissement.
Mais elle en sera renvoyee a onze ans pour rebellion, et parce qu'elle s'obstine a jouer d'oreille, au lieu d'apprendre le solfege.
Adolescente, Myra Ellen Amos commence a jouer dans les bars de la region de Baltimore et de Washington, soutenue financierement par son pere et influencee par les musiques de George Gershwin, Fats Waller et John Lennon, des musiques decouvertes grace a sa mere et a son frere Michael.
"Mon frere avait presque dix ans de plus que moi. Bien sur, ma mere n'avait pas les memes musiques, elle avait arrete d'acheter des disques ; sa collection doit se terminer en 1960. Mon frere rapportait des disques a la maison et me les faisait ecouter. Il etait guitariste ; il revait d'etre Pete Townshend. Mon frere avait envie d'etre ce genre de guitariste, alors il achetait des tas de disques. Les Beatles bien sur, mais ca n'a pas ete un choc pour moi. J'aimais les chansons bien sur, mais c'etait leur ecriture, leur structure qui m'attiraient plutot. Et comme beaucoup, j'etais attiree par John Lennon, par sa facon de voir les choses. J'ai trouve en lui certaines qualites, un peu comme chez Jesus d'une certaine facon. Car j'avais flashe sur Jesus. Alors, on peut imaginer l'effet qu'a pu produire Jim Morrison quand il est arrive avec ses pantalons de cuir moulants. J'etais encore une petite fille, mais j'ai compris pourquoi les parents redoutaient ces gens-la, ils semaient la zizanie, ils eveillaient certaines sensations chez les petites filles. Il emanait d'eux une energie qu'on ne retrouve pas chez les pop stars actuelles, ils provoquaient un eveil de conscience, comme Robert Plant par exemple qui parlait de magie, de lumiere blanche. C'etait excitant."
Son premier enregistrement, "Baltimore", parait en 1981, credite a Ellen Amos. C'est un titre co-signe par son frere, qui n'est disponible que dans cette ville ou il parait sur un label independant que la chanteuse a cree pour la circonstance et qui porte ses initiales, MEA.
Elle part alors pour la Caroline du Sud, ou elle joue a l'hotel Hilton de Myrtle Beach. Elle commence a envoyer des demos de ses chansons et parvient a attirer l'attention de Narada Michael Walden. En 1983, il l'invite a une session d'enregistrement a San Francisco, mais rien de probant n'en sortira.
En 1984, Myra Ellen Amos s'installe a Los Angeles. Elle vient de decider de changer de prenom.
"Mon pere etait obnubile par les noms derives de celui de la Vierge Marie. Ma mere s'appelle Mary Ellen, ma s?ur s'appelle Mary et moi Myra, qui est une forme derivee de Marie. Et a l'ecole c'est terrible ce que j'ai du endurer comme plaisanteries avec ce prenom. Ma mere a essaye d'y remedier, parce qu'a l'ecole on fait l'appel, alors elle m'a inscrite sous le nom de Ellen Mary, mais il y avait quelque chose qui clochait, ca ne sonnait pas juste. J'aimais bien Ellen, mais je trouvais que ca n'allait pas comme premier prenom. Ca me rendait d'autant plus malade de me presenter avec ce nom qui evoquait la Vierge Marie que j'etais plus portee vers Marie-Madeleine, ou la Vierge noire, cette lignee de femmes qui font preuve de beaucoup d'energie et de force, la force secrete des prostituees. J'avais 17 ans et j'etais consciente de tout cela. Je chantais dans un club situe a deux blocs de la Maison Blanche, et une des mes amies est venue avec son copain. Elle ne le connaissait que depuis deux semaines. Ils etaient venus pour m'entendre chanter et il m'a dit : 'Tu n'as pas une tete d'Ellen, tu as une tete de Tori'. Comme ca, de but en blanc. Et je lui ai repondu : 'C'est vrai, tu as raison.' Et Linda, mon amie, ne l'a jamais revu et elle a meme cru que je sortais avec lui parce qu'il m'avait trouve un nom. C'est bizarre, mais je sentais qu'il avait raison, et en plus, j'adore le poulet jakatori, alors…"
Apres plusieurs tentatives infructueuses, Tori Amos decroche enfin un contrat avec Atlantic en 1987. Elle apparait alors a la tete d'un groupe moitie hard, moitie pop-rock, clinquant et tape-a-l'?il, Y KANT TORI READ, qui publie un album eponyme en juillet 1988. Tori y est accompagnee par le futur batteur de Cult et de Guns N'Roses, Matt Sorum, et par l'ancien guitariste de Mr. Mister, Steve Farriss.
L'episode Y Kant Tori Read se solde par un echec. On retrouvera Tori Amos comme choriste sur "Last days of the country" de Al Stewart en septembre 88, puis sur "Mosquitos" de Stan Ridgway en mai 89. L'annee suivante, bien que non creditee, c'est elle qui chante "Distant storm" sur la bande originale du film "China O'Brien".
Determinee a faire une musique plus serieuse et plus personnelle, Tori Amos s'installe a Londres en fevrier 1991. Toujours au sein d'Atlantic Records, elle passe sur le label East West. Dans la capitale anglaise, elle se produit au Mean Fiddler et au Borderline. Tres vite, elle devient la coqueluche de la presse rock britannique.
Son premier veritable album, "LITTLE EARTHQUAKES", parait en janvier 1992, co-produit par son ami le clavier Eric Rosse. C'est un album profond et tourmente, une sorte de cri liberateur ou la chanteuse exorcise ses demons d'une facon etonnante, un album qui est devenu avec le temps un incontestable classique pop-rock.
"Little earthquakes" traduit bien toute l'agitation qui regne dans l'esprit de Tori Amos. Dans un des titres de l'album, "Me and a gun", elle revient sur le viol dont elle a ete victime en 1985 a Los Angeles. Un homme qui s'etait presente comme un admirateur avait propose de la raccompagner apres un de ses spectacles et, sous la menace d'un pistolet, il avait abuse d'elle.
"J'ai essaye de l'integrer comme un episode de mon histoire. Ce n'est pas le seul element du scenario de ma vie, mais ca en fait partie. Je le considere comme une partie de mon histoire, ce n'est pas toute mon histoire, sinon ce serait donner trop de pouvoir a mon agresseur. Je sais que j'ai ete aneantie par cette haine. Parce que c'etait veritablement un acte de haine. Il haissait les femmes, je ne sais pas pour quelle raison, mais il les haissait vraiment et j'ai eu de la chance de m'en tirer vivante, parce que je suis persuadee qu'il n'avait pas l'intention de m'epargner. J'y ai beaucoup reflechi, j'ai revecu tout cela pendant des annees. J'ai du faire de gros efforts, je pensais que la haine etait en moi, qu'elle m'avait penetree jusque dans mes cellules. Parce qu'une partie de lui etait en moi et que son essence etait la haine. J'ai du faire un enorme travail pour surmonter tout cela et je dois dire merci a tous les anges qui sont alors entres dans ma vie."
En decembre 1994, Tori Amos participera a la creation de RAINN - Rape Abuse and Incest National Network - une ligne telephonique d'aide aux victimes d'abus sexuels de toute sorte.
Au-dela du drame qui l'a touchee personnellement, elle veut aider celles et ceux qui sont confrontes a ce genre de tragedie.
"J'en suis ressortie a la fois plus forte et plus fragile. Quand on est jeune, on se dit : 'Oh, mon Dieu, s'il m'arrivait ce genre de choses, j'en mourrais.' On a la meme reaction en pensant a l'avortement, on pense : ''Si cela m'arrivait, je n'y survivrais pas.' Et quand ca t'arrive, tu te rends compte que tu es comme un esprit, un fantome, tu vois les gens qui continuent de rire dans les cafes, tu les vois s'aimer devant toi, alors que toi, on ne peut pas te toucher. Tu ne vis qu'une moitie de vie, une vie etrange. Et j'etais attiree par differentes gens, par differentes choses. Le travail de guerison est tres dur et tu dois d'abord passer par une phase de peine et de chagrin. C'est pour cette raison que RAINN a ete cree, parce qu'il faut donner la main a toutes celles et tous ceux qui traversent ces periodes de peine et de chagrin. Il faut en passer par la ou alors on ne guerit pas."
Le 28 mars 1992, Tori Amos publie un maxi CD ou l'on retrouve "Winter", un extrait de son album "Little earthquakes". Les trois autres chansons qui le composent sont trois reprises etonnantes : "Angie" des Rolling Stones, "Thank you" de Led Zeppelin et "Smells like teen spirit", le titre culte de Nirvana.
En decembre 1992, Tori Amos apparait sur la bande originale du film "Toys", ou elle interprete "The happy worker". Puis, toujours avec son ami le clavier Eric Rosse, elle passe l'essentiel de l'annee 93 a preparer son nouveau disque.
Annonce par le titre "Cornflake girl", l'album "UNDER THE PINK" sort le 12 fevrier 1994 et entre dans les charts anglais directement a la premiere place. Une nouvelle fois, il s'agit d'un travail introspectif, meme si Tori n'a pas voulu reproduire a l'identique "Little earthquakes". Elle part alors pour une longue tournee de 181 concerts, "The Under the Pink Tour", qui la mene jusqu'au Japon et en Australie.
La voix de Tori Amos, que l'on a parfois comparee a celle de Kate Bush, en fait quelqu'un de tres demande en sessions. En 1994, elle participe a la bande originale du film "HIGHER LEARNING" et a l'album "THE LEAD AND HOW TO SWING IT" de Tom Jones.
L'annee suivante, elle figure sur deux albums hommages : "ENCOMIUM : A TRIBUTE TO LED ZEPPELIN", puis "TOWER OF SONG : THE SONGS OF LEONARD COHEN".
Tori Amos et son ami Eric Rosse, qui avait co-produit ses deux premiers albums "Little earthquakes" et "Under the pink", se sont separes en 1994. La chanteuse l'a tres mal vecu et en reste bouleversee.
Du tumulte de ses sentiments nait son troisieme album, "BOYS FOR PELE", en janvier 1996. Enregistre presque entierement dans une eglise d'Irlande, c'est son travail le plus violent jusqu'ici.
Le titre generique fait reference a Pele, la deesse des volcans hawaiens, et il evoque l'espace qui separe la creation de la destruction.
Toujours en 1996, Tori Amos interprete "Blue skies", pour le groupe de Brian Transeau, BT.
Puis elle repart en tournee, accompagnee par le guitariste Steve Caton, qui a travaille sur tous ses disques. C'est un rescape de son premier groupe Y Kant Tori Read.
C'est au cours de cette tournee que Tori tombe amoureuse de l'ingenieur du son Mark Hawley. A l'automne 96, elle apprend qu'elle est enceinte et decide alors de faire une pause pour se consacrer a son futur role de mere. Malheureusement, le 23 decembre, elle fait une fausse couche. La perte de son enfant la plonge dans un desarroi infini et, une fois encore, c'est la musique qui va en quelque sorte la ramener a la vie.
Elle commence a composer, accordant davantage de place aux musiciens, car elle a decide de mettre un peu de distance entre elle et son piano. En mai 1998, "FROM THE CHOIRGIRL HOTEL" sera la synthese de ses emotions, un exutoire a sa douleur.
Quelques semaines plus tot, le 22 fevrier, Tori Amos avait epouse Mark Hawley et le mariage avait ete celebre par son pere, le reverend Edison Amos.
Apres la sortie de l'album "From the choirgirl hotel", Tori Amos entame une quatrieme tournee, accompagnee cette fois d'un veritable groupe, alors qu'elle avait l'habitude de se produire seule au piano.
Elle parcourt ensuite les Etats-Unis pendant un mois et demi, pour une serie de concerts ou elle partage l'affiche avec son amie Alanis Morissette. Elle en profite pour tester de nouvelles compositions devant son public.
Debordant d'imagination, en pleine periode de creativite, elle enregistre aussi des inedits en studio.
Tout cela donnera naissance a un double album, mi-public, mi-studio, "TO VENUS AND BACK", qui parait en septembre 1999. Les compositions sont soulignees par de nouvelles sonorites et par un travail d'equipe plus marque.
Apres la sortie du double CD "To Venus and back", Tori Amos fait une rapide tournee de promotion en Europe. Elle donne un seul concert a Londres en octobre 1999, avant d'annuler une tournee en Europe continentale. Le 5 septembre 2000, on apprend qu'elle a donne naissance a une petite fille, Natashya Lorien, qu'elle surnomme Tash.
"Je crois que je me sens plus a l'aise dans le role de mere que dans ceux que j'ai joue auparavant. Lorsque l'album 'Little earthquakes' est sorti, j'avais 28 ans et je me suis retrouvee le point de mire pour tout un tas de garcons et de filles, comme jamais je ne l'avais ete. Et on ne sait pas trop comment reagir face a ce genre de 'desir'. Ca m'intimidait et ca me faisait meme un peu peur. Mais ca peut aussi devenir une drogue. J'etais mal a l'aise avec cette image. En vieillissant, je n'ai pas voulu jouer comme ces femmes qui voudraient toujours avoir 23 ans. Je n'y trouvais aucun interet. J'etais plus attiree par des femmes comme l'artiste peintre Georgia O'Keefe, que je trouve plus attirante, plus belle et plus captivante avec l'age. Bien sur, elle a vieilli, mais elle a vieilli magnifiquement. Elle a vieilli intelligemment, avec sagesse, pour atteindre une paix interieure. Je me suis dit qu'il fallait que j'essaie de faire la meme chose, qu'il fallait que je tente la meme recherche spirituelle. C'est ainsi qu'a l'age de 30 ans a peu pres, je me suis replongee dans la mythologie et la spiritualite americaines pour faire ce travail interieur, et ca a ete pour moi un parcours de presque dix annees, ce que j'ai mis dans cet album, un travail de restructuration de mon architecture interieure."
De plus en plus sensibilisee par le sort des femmes a travers le monde, surtout depuis la naissance de sa fille, choquee aussi par les propos misogynes et violents relayes par les medias, Tori Amos decide de prendre l'aspect de douze femmes differentes pour reprendre autant de titres crees par des hommes.
C'est l'album "STRANGE LITTLE GIRLS" qui parait en septembre 2001, diversement apprecie, que ce soit par le public ou par les critiques.
En octobre 2002, Tori Amos ouvre avec "SCARLET'S WALK" un nouveau chapitre musical dans sa vie. C'est son septieme album, le premier a paraitre chez Epic.
"Scarlet's walk" est un roman sonore, une chronique des amours de Tori avec l'Amerique, son peuple, son passe et son avenir, un travail qu'elle resume en ces quelques mots.
"Ca raconte l'histoire d'une femme qui s'appelle Scarlet et qui s'interroge sur ses certitudes. Elle entreprend un voyage a travers les Etats-Unis pour essayer de decouvrir l'ame de cette creature qu'on appelle l'Amerique et pour savoir ou elle en est avec elle-meme et avec son pays."
Pour Tori Amos, "Scarlet's walk" est l'aboutissement d'une periode de quete personnelle, la fin d'une traversee dont les points de depart et d'arrivee importent moins que le voyage lui-meme.
Dans ce sens, la realisation de l'album aurait pu etre pour elle une sorte de therapie.
"Non, ce n'est pas une therapie. Parce que le mot therapie est devenu pejoratif, surtout quand on parle avec des journalistes (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui). Ce que je veux dire c'est que, si j'ai besoin d'une therapie, je vais voir mon psy. J'apporte des chansons qui sont vivantes ; pour moi, ce sont des etres vivants qui viennent me voir. Moi, je les materialise, je leur donne une forme au-dela de la musique qui est volatile, pour que l'on puisse entrer en relations avec elles. Pour que celui qui ecoute sache par exemple que 'Crazy' est dangereux et temeraire. Et bien que 'Crazy' soit une chanson a propos d'un homme, toutes les chansons (comme je le dis toujours) sont des entites feminines. On peut imaginer qu'elles ont leur propre univers, donc qu'elles arrivent avec une conscience. Elles viennent a notre rencontre, c'est ce que me disait mon grand-pere quand j'allais le voir en Caroline du Nord. Ses histoires etaient vivantes, elles lui prenaient la main, elles lui allumaient sa pipe – il fumait la pipe – elles etaient vivantes pour lui."
Le personnage de Scarlet que Tori Amos met en scene dans son album est tres proche d'elle-meme, au point que parfois les deux se confondent. Tout au long de ce parcours, Tori s'interroge : elle se pose des questions sur le present, sur le futur, mais egalement sur le passe et sur toutes ces histoires qu'on lui racontait, le soir, lorsqu'elle etait enfant.
"Scarlet et moi, on a la meme pointure et je crois que ma facon de voir le monde est inspiree par elle ; je pense meme que pendant un moment, elle a pris possession de mon corps. On peut dire que Scarlet est un fil conducteur ; avant d'etre une couleur, elle etait un fil et elle a tisse son chemin a travers le pays. Bien sur, on connait Scarlet O'Hara, mais elle appartient aux temps anciens, a la mythologie de l'etat de Georgie et de la region de Jonesboro. C'est un roman. On peut dire que c'est Scarlet qui a inspire la chanson. D'un point de vue geographique, on est proche de l'endroit ou se deroule l'action mythique de Scarlet O'Hara. Mais a partir de la, c'est une autre histoire bien reelle qui prend place, celle du genocide des Indiens Cherokee – la piste des larmes – auquel une de mes ancetres (mon arriere-arriere-grand-mere) a echappe, et qui vivaient dans les Smoky Mountains. Elle a eleve mon grand-pere et c'est lui qui m'a raconte toute l'histoire.
La facon dont le public peut analyser et interpreter le voyage de Scarlet ne preoccupe pas trop Tori Amos. Elle est persuadee que les chansons en general ont une vie propre et une relation personnelle avec celle ou celui qui les ecoute. Evidemment, "Scarlet's walk" raconte une histoire, parfois meme tres detaillee. Mais d'autres fois, c'est a l'auditeur d'entendre ce qu'il veut.
"En fait, Scarlet est obligee de faire une introspection pour trouver les ombres qui se cachent au fond d'elle-meme, ainsi que celles qui se cachent dans son pays. L'histoire de son pays qu'on lui a racontee ne correspond pas a ce qui s'est reellement passe. Elle commence a decouvrir tout cela grace a ce voyage. En chemin, elle rencontre differentes personnes, des hommes et des femmes, et ces relations s'enchainent les unes aux autres. Ca commence par une visite a une de ses amies qui est une star du porno. Toute l'histoire commence comme ca. En quelque sorte, Scarlet a entendu une voix qui lui a dit d'aller a Los Angeles, la capitale du porno, et a Venice. Alors, elle y va et retrouve son amie qui a des problemes. Elle s'appelle Amber Waves et c'est une star du porno sur le declin, une personnification de l'Amerique. Ce que Scarlet ne sait pas, c'est que ce voyage qu'elle entreprend va bouleverser sa vie. Au cours de ce voyage, elle rencontrera les peuples de l'Amerique profonde qui lui reveleront leur medecine et leur sagesse."
En novembre 2003, Tori Amos revient avec "TALES OF A LIBRARIAN", une compilation de vingt titres, dont quatre sont des inedits.
Quelque temps plus tard, on retrouve la chanteuse sur la bande originale du film "MONA LISA SMILE", ou elle interprete deux chansons dans une ambiance retro et jazzy.
Puis, en mai 2004, elle publie le DVD "WELCOME TO SUNNY FLORIDA", accompagne d'un CD de six titres intitule "SCARLET'S HIDDEN TREASURES".
En ce debut d'annee 2005, Tori Amos propose coup sur coup un nouvel album et un livre, qui n'existe pour l'instant qu'en version anglaise. Dans ce livre intitule "TORI AMOS : PIECE BY PIECE", elle explique comment on peut etre a la fois musicienne et mere et comment on peut survivre au show business.
Sur l'album "THE BEEKEEPER", elle s'ouvre a de nouvelles sonorites. A cote de son piano, elle utilise un orgue, un cadeau de Noel de son mari. L'importance accordee aux voix se traduit par plusieurs collaborations, comme celles de Damien Rice ou du London Community Gospel Choir.
Quant a ses deux musiciens les plus fideles, Matt Chamberlain et Jon Evans, ils sont toujours la.
"Je suis a mon piano et les chansons en sortent, comme un prolongement de ce piano. En ce moment, je joue avec le bassiste Jon Evans et le batteur Matt Chamberlain. Et je m'abandonne a tout cet amour qui m'entoure et que je n'explique pas. Je m'y abandonne totalement parce qu'avec la musique, on experimente la colere, la passion et ses raz-de-maree qui submergent tout, la paix et toutes les emotions qui traversent le corps. C'est quelque chose que je n'avais jamais ressenti avant."
Au mois d'avril, Tori Amos entamera aux Etats-Unis une tournee baptisee "The Original Sinsuality Tour". Elle se produira a Paris, au Zenith le 13 juin prochain.