Dans la livraison de mars 2010 du bulletin d’information scientifique de l’INED disponible en ligne, Population et sociétés, G. Pinson illustrait son propos sur l’âge moyen de la maternité en France par la pyramide des âges de la France au 1er janvier 2010 empruntée à l’INSEE. De manière très traditionnelle pour le domaine français contemporain, cette évaluation présente la répartition par âge des habitants âgés de 0 à plus de 100 ans . Comme le montrent les chiffres insérés sur cette pyramide en cylindre, caractéristique des populations stationnaires, l’histoire de la démographie française a connu, au cours du siècle écoulé, plusieurs grandes périodes, auxquelles nous allons nous intéresser.
Sans étonnement aucun, nous constatons que le sommet de la pyramide est extrêmement étroit. Pour lire les informations relatives aux personnes âgées de 96 ans et plus (c’est-à-dire celles nées jusqu’en 1913), il faut faire appel à des données chiffrées. L’INSEE évalue cette population à 95 000 personnes . La pyramide nous permet toutefois clairement de voir que, dans cette génération, les femmes sont surreprésentées par rapport aux hommes. Les chiffres de l’INSEE montrent que les femmes nées en 1912 et 1913 sont aujourd’hui 5 fois plus nombreuses que les hommes nés au cours de ces deux mêmes années. Ce rapport atteint 10 pour la génération née entre 1907 et 1909. Il retombe brutalement à 2,5 pour la génération la plus âgée (née jusqu’en 1906). Ces chiffres ne font qu’illustrer une réalité biologique bien connue, d’où notre absence d’étonnement : les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes.
Nous en venons maintenant à la période marquée sur la pyramide du chiffre 1. Il s’agit de celle de la Première Guerre mondiale (1914-1918) et de la pandémie de grippe espagnole (1918). Vu que plus de 90 ans nous séparent aujourd’hui de ces deux épisodes, le déficit mécanique des naissances enregistré au cours de ces 4-5 années est sur cette pyramide imperceptible .
La période de l’Entre-deux-guerres (1920-1939) se caractérise sur cette pyramide par une plus grande représentation des femmes que des hommes, quel que soit l’âge considéré. Une fois encore, le graphique témoigne du fait que l’espérance de vie des femmes est meilleure que celles des hommes. Les données chiffrées de l’INSEE mettent en évidence l’accroissement du rapport entre hommes et femmes à mesure que l’on s’élève dans la pyramide. Il est maximal à 90 ans, où les femmes sont 2, 37 fois plus nombreuses que les hommes. Dans la mesure où les personnes nées entre 1920 et 1939 sont les premières concernées par les chiffres de l’espérance de vie moyenne, c’est à ce niveau que la pyramide commence à suggérer, de manière très évasive (par exemple, elle ne peut montrer la baisse de la natalité enregistrée entre 1933 et 1938, lorsque les effets de la crise de 1929 affectèrent la France), la croissance du taux de natalité qui a été une des conséquences démographiques importantes de la Première Guerre mondiale.
Les chiffres 2 et 3 renvoient aux années de la Seconde Guerre mondiale. Deux phénomènes se conjuguent ici pour expliquer les échancrures que nous remarquons sur les deux côtés de la pyramide. D’une part (2) résonne l’écho du déficit de naissances enregistré durant les années 1914/15-1919. Dès que la génération née pendant la Première Guerre mondiale a atteint l’âge socialement accepté de la reproduction, le taux de fécondité a commencé à diminuer. D’autre part (3), le début de la Seconde Guerre mondiale a entraîné une baisse des naissances en 1940 et 1941. Les chiffres, notamment du taux de reproduction, mettent en évidence une reprise des naissances dès les années 1942/1943 ce qui pousse certains à reculer la date du début du baby-boom de 1946 à 1942/43. Ces chiffres trouvent une illustration partielle sur la pyramide.
Les chiffres 4 et 5 délimitent une période d’une trentaine d’années, celles des Trente Glorieuses qui correspondent, en matière démographique, à l’époque du baby-boom. Sa durée exceptionnelle s’explique par l’arrivée des représentants de la dernière génération née avant la Seconde Guerre mondiale et de celle née pendant le conflit à l’âge socialement admis de la procréation durant une période de forte expansion économique. La génération du baby-boom (qui, compte-tenu des espérances de vie moyennes, sera bientôt celle du papy-boom) forme la partie la plus large des deux côtés de la pyramide. Les femmes de cette génération sont légèrement plus nombreuses que les hommes, ce qui s’explique par deux réalités. D’une part, dans n’importe quelle population les femmes sont globalement plus nombreuses que les hommes. D’autre part, le taux de mortalité des hommes de la génération du baby-boom est au minimum deux fois plus élevé que celui des femmes . Du fait que les personnes nées au début du baby-boom sont plus soumises au risque de mort précoce que leurs cadettes de la même génération, la pyramide des âges ne peut refléter la diminution progressive du taux de natalité tout au long de la période considérée.
Le chiffre 5 a été placé au niveau de la seconde moitié des années 1970, marquées par deux chocs pétroliers (1973 et 1977). Dans la mesure où le taux de mortalité des personnes âgées de 1 à 39 ans est de 0, 4 ‰, nous pouvons considérer que la pyramide reflète relativement fidèlement la natalité de la période démographique la plus récente. Deux tendances retiennent ici notre attention. Premièrement, les échancrures parallèles, dont la première se dessine dès l’année 1973/74, correspondent aux années où les effets de la crise inaugurée en 1973 et qui dure jusqu’à aujourd’hui se sont fait le plus sentir. Secondement, les hommes nés à partir de 1985 sont plus nombreux que les femmes. Comme le met bien en évidence la pyramide, les écarts peuvent être sensibles. Il s’agit de la seule génération où l’équilibre légèrement en faveur des femmes s’inverse. Seul l’avenir nous permettra de conclure sur la question de savoir s’il s’agit d’un phénomène temporaire ou non.
Cette pyramide remplit parfaitement la fonction assignée à ce type de graphique. Elle donne une forme à la structure par âge de la population française à une date précise. Si elle met incidemment en évidence certaines grandes périodes de la vie du pays, elle ne peut montrer, par exemple, qu’entre 1945 et 1973 quatorze millions de personnes nées ou immigrées en France sont venues grossir la population française (soit une augmentation d’un tiers en moins de trente ans). En revanche, elle donne à voir une partie du futur démographique du pays. Il sera caractérisé par le vieillissement d’une population en augmentation constante, aujourd’hui estimée à soixante-cinq millions d’habitants.